Profondément marqué par la France, où il a grandi, l’entraîneur du Havre y puise certaines de ses grandes références et sources d’inspiration.
SÉBASTIEN BURON
ENTRETIEN
Luka Elsner
DE NOTRE ENVOYÉ SPÉCIAL
LE HAVRE (SEINE-MARITIME) – Sur son bureau, un dessin de sa fille est magnifié par un « Papa d’amour ». Sa bibliothèque accueille des ouvrages de sport, mais aussi le Colonel Chabert ou le Chefd’oeuvre inconnu d’Honoré de Balzac. En plus du slovène, du serbe, du croate, de l’anglais et de l’italien, Luka Elsner parle couramment le français. Âgé de 41 ans, l’entraîneur du Havre a passé la moitié de sa vie en France et le natif de Ljubljana, la capitale de la Slovénie, est imprégné par la culture de notre pays.
Dans un français parfait et sans accent, le technicien est revenu sur son incroyable relation avec la France. Et où tout, de son histoire familiale à ses passions, peut être rattaché au foot.
« Ce match à Nice est-il un rendez-vous important pour vous ?
Ce match a une connotation spéciale pour moi, forcément (sourire). Je suis arrivé à Nice à cinq ans, car mon papa Marko avait signé à l’OGC Nice. Il y a joué cinq saisons (de 1987 à 1990 puis de 1991 à 1993) et j’ai des photos d’entraînement où, avec mon petit frère, on est sur le côté à observer et taper dans le ballon. J’ai passé presque vingt ans à Nice, évolué au club jusqu’à 14-15 ans, grandi pratiquement au stade du Ray.
Nice, c’est votre club de coeur ?
Oui, absolument. Ça m’est arrivé de mettre le maillot du club au collège ou au lycée (rire). J’allais tout le temps au stade avec mes potes d’enfance. On était d’ailleurs assez virulents dans la manière de supporter (sourire). J’ai le souvenir de la victoire en Coupe de France en 1997 (1-1 a.p. contre Guingamp, 4-3 aux t.a.b.). On avait fait le déplacement en train Corail pour aller au Parc des Princes, la séance de tirs au but était juste devant moi. Et je me rappelle toutes ces années de galère, les matches très difficiles en D2, les différents présidents. Il n’y a pas eu beaucoup de moments de plaisir. C’était un club assez bordélique à l’époque.
À Nice, vous êtes devenu ami avec Hugo Lloris. Comment ?
Hugo est de la génération de mon petit frère, de 1986. Nos familles vivaient dans le même quartier et ils étaient ensemble dans les catégories de jeunes de l’OGC Nice. Cette amitié familiale s’est créée par ce biais. Très jeune, Hugo participait à des tournois avec nous. Tout le monde comprenait que c’était un joueur hors norme.
Cela ne vous fait pas drôle de diriger aujourd’hui Gautier Lloris, son petit frère ?
Si, et c’est une des belles histoires que raconte la vie. Tu te retrouves dans un club qui n’a aucune connexion avec l’endroit d’où on est partis. Gautier, je l’ai connu, c’était un gamin de 5-6 ans ! C’est incroyable de le coacher aujourd’hui.
“Je dévore les histoires que Balzac a pu raconter. Parfois tu te dis : “Mais comment est-ce possible d’écrire aussi bien et de transmettre des choses tellement fortes par les mots ?” ''
À 22 ans, vous obtenez une maîtrise en entraînement sportif en Staps à l’université de Nice. Quelle voie vouliez-vous suivre ?
Je voulais devenir préparateur physique ou entraîneur. J’ai fait un mémoire sur la pliométrie chez le footballeur. Puis je me suis inscrit à la fac en Slovénie. À la demande de mon père, j’ai fait un test, à Domzale (D1 slovène). D’amateur, je me suis retrouvé pro, à gagner des titres, jouer en sélection (il compte une cape). Ma vie était à Nice, je n’avais jamais vécu en Slovénie, c’était un vrai challenge. Mais j’ai bien fait de partir. Ça m’a donné un vécu qui me sert en tant qu’entraîneur.
C’est en France, à Amiens (en 2019-2020), que vous avez l’opportunité d’entraîner dans le top 5 européen. C’était le destin ?
C’est incroyable. Il y a beau avoir un côté aléatoire dans la vie, tu as l’impression qu’une voix te suit et t’amène à atterrir dans un contexte où tout est lié. Ceux qui ont été le plus étonnés étaient mes potes d’enfance : “Qu’est-ce que tu fais à revenir en France, en L1 ?” Quand je suis contacté, je me dis que c’est n’importe quoi. Partir de D2 belge (l’Union Saint-Gilloise) pour la L1, dans ma tête, ce n’est pas possible. J’avais 36 ans. C’était improbable.
Comme d’avoir été relégué à cause du Covid ?
Faire descendre les équipes à dix journées de la fin (Amiens était 19e de L1 à l’arrêt des championnats), j’ai trouvé ça d’une injustice incroyable. Ça me reste en travers de la gorge.
Avant et après Amiens, quel est le point commun entre Franck Haise et Will Still ?
Franck aurait pu être mon adjoint à l’Union Saint-Gilloise (en 2018- 2019), Will l’a été au Standard de Liège (en 2021-2022). Avec Franck, on en rigole souvent. Heureusement qu’il a pris la décision de rester à Lens. Ça aurait été un sacré gâchis pour lui et le football français. On s’envoie des messages avec les deux, peut-être plus avec Will, car on a travaillé ensemble.
Haise est un grand amateur de vin, et vous de littérature.Quel est votre auteur préféré ?
Balzac. La Comédie humaine explique avec justesse les relations humaines, les comportements humains, les vices, les vertus, les mécanismes de la société. Je dévore les histoires que Balzac a pu raconter. Parfois tu te dis : “Mais comment est-ce possible d’écrire aussi bien et de transmettre des choses tellement fortes par les mots ?” Je relis souvent ses ouvrages, j’ai une tonne de citations que je mets de côté. Comprendre l’humain a enrichi ma capacité à manager au quotidien, c’est évident.
Quelle citation de Balzac vous viendrait à l’esprit ?
Il faudrait que je regarde (il sort un blocnotes électronique et cherche). En voilà une : “Il est si naturel de supposer que les gens qui dépensent leur vie à tout mettre en dehors n’aient rien en dedans.” Les concepts ou citations qui m’intéressent, je les fais parfois passer au staff en les retravaillant. J’explique pourquoi ça nous servirait en termes de coaching.
“En revoyant les images, tu as l’impression qu’un démon a pris ta place. J’explose car on peut tout perdre sur tapis vert à 30 secondes de la fin ''
Et quel personnage historique vous a le plus inspiré ?
Napoléon m’a le plus fasciné. Il y en a d’autres, Marc-Aurèle, Alexandre le Grand, ou Abraham Lincoln. Mais c’est celui dont je connais le mieux l’histoire. Et sur le côté leadership, c’est le premier exemple qui te vient à l’esprit. Il a su embarquer dans son sillage tout un peuple, ça a été un génie militaire, sociétal aussi car il a mis énormément de choses en place. Il est parti de pas grand-chose puis a fini empereur et dominé une partie de l’Europe. Son ascension est incroyable. Mais je n’envie pas son destin, je n’aurais pas aimé être lui. Et je n’en ai certainement pas du tout le charisme (rire).
Qu’aurait dit Napoléon au moment d’aborder cette saison, après quatorze ans de L2 ?
J’ai souvenir de ce qu’il est censé avoir dit en Égypte, à ses soldats : “Du haut de ces pyramides, quarante siècles vous contemplent.” Il aurait pu trouver une formule inspirante. Mais je ne pense pas que les grandes expressions ou les grands discours soient générateurs de changements profonds. C’est tout le travail du quotidien.
D’autres personnages historiques français vous ont inspiré ?
De Gaulle, par sa prestance. Les peintres impressionnistes. Monet, c’est le peintre préféré de mon épouse. Et elle n’a pas de lien particulier à la France.
Pourquoi alors avoir appelé votre fille « Amélie » ?
Elle est née en Slovénie, on réfléchissait à comment lui donner ce côté francophone par mon vécu. Ça s’écrit Ameli, car en slovène, le “e” se prononce “é”. Elle a un prénom un peu différent de ce qui est écrit habituellement ici. Mais ça a une connotation et une consonance française.
En Slovénie, vous avez aussi publié un livre que l’on peut traduire par “Mental d’acier”, préfacé par Hugo Lloris et Jocelyn Blanchard...
C’est un guide pour indiquer comment s’y prendre pour faire carrière. Jocelyn Blanchard, j’ai joué avec lui à l’Austria Kärnten, en D1 autrichienne. Un jour, il se fracture la cheville et refuse de sortir sur un brancard. Il m’avait impressionné par son caractère trempé. J’ai écrit en français puis traduit en slovène. J’ai beaucoup plus de facilité à écrire en français qu’en slovène.
En quelle langue réfléchissez-vous ?
En français.
Vous êtes réfléchi, mais la saison dernière, on a pu voir une autre facette de vous lors de la dernière journée ! (*)
En revoyant les images, tu as l’impression qu’un démon a pris ta place. J’explose car on peut tout perdre sur tapis vert à 30 secondes de la fin. Mais je n’aurais jamais frappé personne (sourires). L’objectif, c’est de faire comprendre aux gens : “Il faut vous barrer, ne pas rester là !” C’était improbable.
Comme votre retour en France avec Le Havre ?
Rien ne me prédestinait à revenir. C’est grâce à Mathieu (Bodmer, le directeur sportif, et son ancien joueur à Amiens). Mon passage à Amiens ne m’a pas fait une pub géniale. Et je pars du Standard avec une cote pas top. Je n’ai alors rencontré personne en France. Miser sur Luka Elsner, ce ne devait pas être simple.
Ce titre avec Le Havre, est-ce votre plus grande émotion d’entraîneur ?
Oui, bien sûr. C’est mon premier titre. C’est un aboutissement et aussi une réponse à une soif de la ville et des supporters, ce besoin fondamental de retrouver des couleurs pour ce club.
Quel est votre plus grand souvenir lié à la France ?
(Il réfléchit.) Ça ne peut être que ça. Grandir en France, créer les liens d’amitié, c’est une continuité. Le plus grand moment, en termes d’émotion, a été cette montée. Quand on voit les guichets fermés aujourd’hui, tu dis : “Ouah, on est partis de loin.” C’est un sacré accomplissement.
Au final, que représente la France pour vous ?
Une terre d’adoption. Je me sens slovène par ma naissance, ma généalogie, ma génétique. Mais j’ai été influencé par la France d’une manière incroyable. La France m’a enrichi, donné des possibilités, permis d’obtenir un diplôme. Mes vraies racines amicales sont en France. C’est une grande partie de ma vie. J’ai eu de la chance de découvrir ce pays, d’y grandir. Cinq ans après mon arrivée, j’ai d’ailleurs obtenu la nationalité française.
Vous sentez-vous français ?
En partie. Si la France devait avoir des problèmes, je serais prêt à aider. Je me sens redevable. »